QUELQUES éVèNEMENTS PASSéS

23 NOVEMBRE 2023

Projection du film documentaire : Terres précieuses

AUTEUR : Éva ♦ DATE PUBLICATION : Janvier 2024

Le 23 novembre dernier, dans le cadre du mois du film Documentaire, un partenariat avec le cinéma châtenaysien Le Rex a permis à notre association TEC de faire projeter, en présence des réalisatrices, le beau film Terres Précieuses à un public de quelque 80 personnes. Un riche débat a suivi. Enfin un stand de l’association a accueilli les questions, voire les adhésions des plus curieux.
(voir l’évènement du site TEC et les liens : site du film, bande annonce)

Le film porte un regard sensible et incisif sur les mutations actuelles du plateau de Saclay.

Les étudiants de la faculté d’Orsay ou les chercheurs du CEA ont pu pendant de longues années admirer les paysages du Plateau, quand, au travers des fenêtres des bus ou des voitures, le regard se perdait dans les champs de maïs, de blé, de luzerne et de colza. 

Terres Précieuses ! Tels sont les 2 640 hectares d’un sol extraordinaire, le plus fertile d’Europe : une couche d’argile y retient l’eau de manière à irriguer une grasse couche de limon, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Paris. Elles sont aussi le premier poumon vert d’Ile-de-France. Ces terres étaient à l’origine des marécages, drainés sur l’ordre du Roi Soleil pour approvisionner en eau les fontaines de son parc à Versailles. Des drains de poterie enterrés en ont permis l’assèchement, puis des « rigoles » ont recueilli les eaux d’écoulement, qui, ensuite déversées d’étangs en viaducs, furent acheminées vers les magnifiques fontaines de bronze que nous connaissons. Le dépôt d’alluvions initial est devenu un terreau fertile où tout ce qui est planté pousse avec succès, sans apport d’engrais complémentaire ni irrigation.

Terres précieuses ! Ce film de 2018, produit par Claire Leluc-Derouin et Martine Debiesse d’après un livre de témoignages rédigé par Martine Debiesse, relate en mosaïque les expériences, les drames, les espoirs d’agriculteurs qui ne renoncent pas à travailler leurs terres face au mastodonte économique qui n’a cessé d’y étendre son emprise dès le milieu du XXe siècle. 

Un même environnement est ainsi partagé entre ces agriculteurs dont on a réquisitionné une bonne partie des terres et le “progrès” concrétisé par l’envahissement de structures de recherche et d’enseignement qui seront bientôt irriguées par  la ligne 18 du métro. On devine la bataille en cours pour la préservation de ces terres précieuses !

La parole est donnée dans le film à des associations comme Le Jardin de Cocagne, réseau de maraîchers prônant à la fois la qualité de produits fermiers et la solidarité envers des chômeurs très éloignés de l’emploi; ou comme Terre et Cité s’efforçant de protéger les terres agricoles du plateau en implantant des kilomètres de haies paysagères ; à des agriculteurs de la ferme de Viltain, de Vandame, de la Martinière, au pépiniériste héritier de l’entreprise Allavoine, à un producteur de volailles, à un berger; aux anciens et nouveaux paysans du plateau.

Ces terrains non construits, à proximité de Paris, vascularisés par de nombreuses voies, intéressèrent les gouvernements successifs d’après-guerre. De Gaulle favorisa l’implantation sur 250 hectares du CEA qui fut opérationnel dès 1952 : l’heure était à la recherche nucléaire, à la course à l’indépendance militaire, et il fallait relayer le site du fort de Châtillon. L’université d’Orsay s’établit ensuite sur 7700 hectares entre 1971 et 2020. Le projet de Nicolas Sarkozy, décidé en 2009, de créer une Silicon Valley à la française voit le jour en 2019, les grandes écoles scientifiques jusque-là dispersées en banlieue se regroupant pour former un cluster de laboratoires d’innovation et de recherche industrielle

Les 2 réalisatrices Claire Leluc-Derouin et Martine Debiesse ( auteur du livre livre) entourées des membres de TEC et une personne de la salle de cinéma.

Les paysans, eux, s’adaptent avec ce que les gouvernements leur ont laissé. Il leur a fallu accepter, la mort dans l’âme, le démantèlement de leurs exploitations. Cependant, avec l’énergie de l’espoir, des déçus de la vie citadine s’implantent, autant que travaillent dur les héritiers jeunes et courageux, qui ne comptent pas leurs heures.

L’envahissement de ces terres précieuses ne devrait-il pas être limité ? La loi récente du Grand Paris, en date du 3 juin 2010, préserve enfin ce qu’il reste de cette étendue morcelée. Le tracé final de la Zone de Protection Naturelle, Agricole et Forestière du Plateau de Saclay a été défini en 2013. Depuis, l’incidence du COVID et plus encore l’indéniable réchauffement climatique ont révélé l’urgence de consommer “local”, en circuit court, une production alimentaire de qualité. N’est-ce là qu’une mode temporaire dans laquelle les nouveaux paysans s’engouffrent et investissent, ou bien, au contraire, l’effet d’une prise de conscience durable de la nécessité de changer nos habitudes de consommation ?

Les dynamiques agriculteurs du plateau de Saclay se diversifient. Ils créent une boulangerie bio, une épicerie bio regroupant les productions de dizaines d’agriculteurs. Ils fidélisent leurs clients par les AMAP. Ils produisent du miel malgré 30% de pertes annuelles des ruches, du compost, du bois de chauffage. Un berger propose les déjections de ses moutons en engrais aux maraîchers. Une écurie offre une équitation de loisir; un ex-citadin s’est lancé dans l’élevage de volailles bio. Des cultures de fleurs répondent aux besoins floraux du site de Saclay et des bordures de routes. 

En face, il faut construire des nouveaux bâtiments pour la recherche, regrouper toujours davantage les structures scientifiques, et donc bétonner, goudronner, ce qui fait que la présence d’un séquoia très ancien sur une route devient, comble de l’absurde, un objet de négociations ministérielles ! 

La bétonisation a d’abord mis les agriculteurs devant le fait accompli. Connaissant parfaitement les caractéristiques du sol, ils auraient pourtant été à même d’apporter leur expertise aux architectes et aux chercheurs. Ils auraient permis d’éviter l’erreur de casser les drains des terres argileuses, au risque de créer des poches d’humidité dans les bâtiments. Ils auraient indiqué que d’autres terrains devenus impropres à l’agriculture, anciennes friches industrielles à revaloriser, eussent été plus adéquats pour recevoir les constructions, au lieu qu’aujourd’hui on les transforme en parc à l’usage des immeubles d’habitation des nouveaux arrivants.

Espérons que ce film qui tourne en ce moment parmi les grandes écoles et les chercheurs du plateau de Saclay, lesquels sont en demande d’informations, contribuera à la communication entre les occupants actuels et à la prise de conscience des gouvernants

Et remercions encore Le Rex pour ce fructueux partenariat, que l’on espère renouveler !

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